Les parents sont-ils coupables ? Un enfant se conduit comme un voyou ? c’est la faute à ses parents La
mode est aux reproches aux familles : leur enfant se conduit comme un voyou
? C'est qu'ils sont "démissionnaires". Souvenez-vous des
punitions que veulent infliger certains pour sanctionner les parents qui se
comporteraient de façon irresponsable (punitions par le fric, c’est-à-dire
par suppression des allocations familiales – punitions inégalitaires
d’ailleurs, car lorsqu’on n’a qu’un seul enfant, difficile de se voir
supprimer des allocations qu’on ne reçoit pas). Entendons-nous
bien, je ne souhaite pas faire l’apologie de l’irresponsabilité dans le
cadre familial. Tout le monde souhaite que parents et enfants, dans la plus
grande harmonie, s’occupent et se préoccupent bien les uns des autres à tous
les âges de la vie. Ce
qui me gêne, ce sont ces accusations récurrentes, qui permettent de disculper
le reste de la société sur sa responsabilité. Un enfant se conduit comme un
voyou ? c’est la faute à ses parents. Un enfant dit des gros mots ?
c’est qu’il est mal élevé. Un enfant vole à l’étalage ? ce sont
ses parents qui ne le surveillent pas. Un vieillard s’étiole dans une maison
de retraite sans aucune visite ? Ce sont ses enfants qui sont ignobles. La
simplification des problèmes n’a jamais constitué une façon honnête de les
traiter. Les choses sont beaucoup plus complexes que cela. Vous qui avez élevé
une famille, qui côtoyez de nombreuses familles, vous l’avez forcément expérimenté :
aucune situation familiale ne ressemble à une autre, car les circonstances sont
différentes pour tout le monde. Il n’y a qu’à voir les différences qui
peuvent exister au sein d’une même fratrie, qui pourtant aurait reçu la même
éducation – il n’y a pas deux frères, mêmes jumeaux, qui se comportent de
la même façon dans la vie. Toutes les familles ont leur petit trublion, qui
fait mille bêtises, et aussi leur surdoué qui réussit tout. C’est la vie,
c’est comme ça. Et chaque famille connaît des périodes plus ou moins
heureuses ou la disponibilité physique ou psychologique connaît des hauts et
des bas. Les contraintes professionnelles, les soucis de santé, les éloignements
géographiques, les fragilisations du couple, les difficultés personnelles
viennent souvent en travers des meilleures intentions du monde dans la vie
familiale. Arrêtons de vouloir mettre le nez dans les affaires de famille pour
dire où est le bien et où est le mal. A
quand un permis d’être parent ? Permis à points bien sûr ! Et
le reste de la société n’a-t-elle donc rien à se reprocher dans tous ces
disfonctionnements regrettables ? N’est-elle pas coupable, elle aussi ?
Lorsque l’on voit proliférer partout, dans l’indifférence générale, des
influences néfastes sur les enfants (pornographie, violence, mensonges
d’hommes –ou de femmes- publiques), lorsque l’on voit la considération
que l’état accorde aux projets familiaux en faisant jouer le curseur des
allocations familiales selon l’humeur du moment, lorsqu’on constate que tous
les jours des bâtons dans les roues tombent sur les pauvres parents qui ne
savent où donner de la tête ! Et qui doivent en plus subir les réflexions
des bien-pensants autour d’eux : « oh,
moi, à mon époque, il n’y avait pas de halte garderie, pas de
couches-culottes et on s’en sortait bien ! »… Peut-être mais
à notre époque, on renvoie une accouchée dans ses foyers au bout de trois
jours ! J’en
appelle donc au bon sens : cessons de disqualifier les parents en
permanence. Seul le soutien, avec un brin de confiance vis-à-vis d’eux, peut
arranger les choses. Un
seul exemple personnel pour étayer un peu mon propos : il y a deux ans mon
père agonisait chez lui pendant dix-huit mois d’un cancer, soutenu par la présence
dévouée de ma mère qui accepta d’être nuit et jour son infirmière, afin
de lui permettre de rester à la maison. Par chance, il se trouvait qu’ils
n’habitaient qu’à une heure de chez moi. Par chance, je suis mère au
foyer, donc un peu disponible. Mais combien de fois ai-je du renoncer à venir
relayer ma mère qui y perdait la santé, parce qu’aucune possibilité de
faire garder mes enfants un peu plus tard ou un peu plutôt ne me facilitait les
choses ? Aujourd’hui,
avoir un enfant n’est plus une fatalité. Compte tenu de la précarité de nos
conditions de vie, c’est même un acte de courage et de foi dans l’avenir
qui mérite d’être salué dans un monde qui est désabusé. Arrêtons de tout
reprocher aux parents.
Parents :
coupables ou victimes ? Dans
ma ville,
le mois dernier, un adolescent s’est fait poignarder par trois garçons de
son âge à la suite d’une stupide altercation dans l’autobus. Ma ville
n’est pas un cas isolé : partout en France, la délinquance des mineurs
défraie la chronique. L’incivilité de nombreux enfants est un fait de société.
Et certains jeunes vivent des situations de désarroi et de souffrance psychique
insoutenables, en témoignent le nombre des suicides, la diffusion de l’alcool
ou de la drogue. Il
est de bon ton aujourd’hui d’invoquer la « démission des parents »
et de les rappeler à leurs responsabilités. Permettez moi de verser trois pièces
à ce dossier d’accusation. *
1ière
pièce : les
jeux vidéo : nos chère têtes blondes peuvent se
procurer, sans aucun problème, des logiciels où l’on propose au joueur d’écraser
des piétons, de déterrer des cadavres d’enfant ou de tuer tout ce qui
bouge... La diffusion de pareils titres à des moins de 18 ans est illégale.
Pourtant, éditeurs et distributeurs de ces jeux se défaussent en déclarant
que les parents n’ont qu’à surveiller à quoi jouent leurs enfants. Au
fond, c’est eux qui sont coupables. *
2ième pièce : Votre enfant
a du mal à suivre à l’école ? Faites le travailler davantage le
soir préconisent les professeurs. Moi, je me pose cette question naïve :
comment expliquer qu’il y a un siècle, l’école de Jules FERRY apprenait à
lire écrire et compter parfaitement à des classes de 40 enfants, tous âges
confondus, fils et filles de parents illettrés, parlant le patois, incapables
de leur faire réciter des devoirs du soir ? Il est vrai que les
instituteurs se faisaient respecter. Cent ans plus tard, combien de familles ont
le temps, l’argent ou la culture pour reprendre derrière l’école ce qui
n’a pas été enseigné correctement une première fois ? *
3ième
pièce : Les adultes ont aujourd’hui de terribles défis
professionnels à relever. Beaucoup de maris rentrent le soir après 21 ou 22
heures, sans pouvoir protester de crainte de se faire « virer ».
Combien de femmes jonglent avec des journées délirantes, désireuses
qu’elles sont de réussir professionnellement puisque c’est là le seul épanouissement
que la société veuille bien valoriser ? Ainsi grandissent dans ma ville
de nombreux enfants, qui ont tout l’argent qu’ils veulent mais qui sont en réalité
abandonnés. Comme
c’est facile ! La société fait n’importe quoi, récuse toute
discipline, propose n’importe quel modèle et, si les jeunes vont mal, on désigne
les parents comme coupables... Loin
de moi de sombrer dans la « victimisation » systématique des
parents. L’hédonisme ambiant nous conduit trop souvent à oublier les devoirs
que nous avons vis à vis de nos enfants : il est souvent plus agréable de
bouquiner tranquillement ou de partir au golf que de consacrer du temps à sa
progéniture. Il est plus commode de fermer les yeux sur la politesse que de
batailler interminablement. Il est plus facile de céder pour une sortie que de
la refuser. Il est pratique de laisser les enfants devant la télé, notre
bienveillante nourrice électronique. Il peut être crucifiant de renoncer à
une promotion pour sauvegarder l’équilibre de sa famille... Etre
parent implique des devoirs. C’est dans la mesure où nous les assumerons que
nous pourrons dire à ceux qui se déchargent sur nous des responsabilités qui
leur incombent : balayez devant votre porte ! |